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Edition provisoire
La rétention administrative des demandeurs d’asile et
des migrants en situation irrégulière en Europe
Résolution 1707 (2010)1
1. La
rétention administrative des demandeurs d’asile et des
migrants en situation irrégulière s’est fortement répandue ces
dernières années dans les Etats membres du Conseil de
l’Europe. Bien que cette augmentation s’explique en partie par
les arrivées de plus en plus nombreuses de migrants en
situation irrégulière et de demandeurs d’asile dans certaines
régions d’Europe, elle est aussi due, dans une large mesure, à
des pratiques et à des décisions politiques résultant d’un
durcissement des attitudes envers la population concernée.
2. Les
centres de rétention connaissent un grave problème de
surpopulation. À mesure que les effectifs dépassent la
capacité des bâtiments, les Etats réagissent en construisant
des centres de plus en plus vastes. Cependant, plus ils
construisent, plus ils remplissent les centres, souvent pour
justifier les dépenses engagées mais les conditions de vie des
personnes retenues n’en sont pas forcément améliorées. En
outre, de plus en plus de demandeurs
d’asile et de migrants en situation irrégulière sont retenus
dans des locaux d’appoint qui ne sont pas adaptés à l’accueil
de ce type de public : commissariats de police, prisons,
casernes désaffectées, hôtels, containers, etc.
3. Il est
universellement reconnu que la privation de liberté ne devrait
être appliquée qu’en dernier recours. Or, elle fait de plus en
plus office de première solution et de moyen de dissuasion.
Cela se traduit par des placements en rétention aussi massifs
qu’inutiles. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par ce
recours excessif à la rétention et par la longue série de
problèmes graves qui en résulte, problèmes régulièrement
soulignés non seulement par les instances de suivi des droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, tels que la Cour européenne
des droits de l’homme, le Comité européen pour la prévention
de la torture, le Commissaire aux droits de l’homme et la
Commission des migrations, des réfugiés et de la population de
l’Assemblée, mais aussi par d’autres organisations nationales
et internationales.
4. Les
conditions de vie et les garanties offertes aux migrants
retenus, qui ne sont pas des délinquants, sont souvent pires
que celles réservées aux personnes placées en réclusion
criminelle. Les conditions matérielles sont parfois
atterrantes (saleté, manque d’hygiène, manque de lits, de
vêtements et de nourriture, soins insuffisants, etc.) et le
régime est souvent inadapté, voire presque inexistant
(activités, éducation, accès à l’extérieur et à l’air libre).
En outre, les besoins des personnes vulnérables ne sont pas
assez pris en compte et les allégations de mauvais
traitements, de violences et d’abus par le personnel
persistent. Tous ces éléments ont un impact négatif sur le
bien-être physique et psychique des personnes retenues,
pendant et après la rétention.
5. Du
point de vue budgétaire, la rétention coûte très cher aux
Etats qui l’appliquent fréquemment et retiennent les personnes
concernées pendant de longues périodes. La « directive
retour » de l’Union européenne, qui prévoit que la durée
de rétention peut être prolongée jusqu’à dix-huit mois, est
critiquable car elle fixe des normes minimales en matière de
durée de rétention, ce qui permet aux Etats membres de l’Union
européenne de pratiquer la rétention à long terme et augmente
la possibilité que ces Etats accroissent la durée minimale de
la rétention.
6.
L’Assemblée est particulièrement préoccupée par la mise en
rétention des demandeurs d’asile, qui devraient être
distingués des migrants en situation irrégulière. La
Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ne prévoit
que des exceptions très limitées et spécifiques à leur droit à
la liberté de mouvement. Selon la Convention, les demandeurs
d’asile ne devraient pas être placés en rétention au seul
motif d’une demande d’asile, d’une entrée ou d’une présence
illégale dans le pays où ils ont déposé une demande d’asile.
7.
L’Assemblée ne s’inquiète pas seulement des conditions
d’enfermement. Elle est également préoccupée par le peu de
clarté concernant les cas où la rétention est juridiquement
justifiable. Il est clair que nous manquons d’un cadre
juridique accessible et précis régissant le recours à la
rétention conformément au droit international relatif aux
droits de l’homme et aux réfugiés. En outre, les lois et
réglementations nationales s’avèrent souvent insuffisantes
(laissant trop de liberté d’action aux membres des services de
l’immigration), les politiques de rétention sont non
transparentes (laissant les intéressés à la merci d’abus ou de
décisions arbitraires), l’accès des retenus à un avocat est
limité et les données empiriques concernant la rétention sont
absentes. Il est donc nécessaire d’établir un cadre accessible
et précis régissant le fonctionnement des centres et les
conditions de rétention, qui doivent également faire l’objet
d’un contrôle judiciaire.
8.
L’Assemblée réaffirme que les motifs de détention liée à
l’immigration sont limités par l’article 5.1.f de la
Convention européenne des droits de l’homme. La rétention ne
devrait être utilisée que lorsque des mesures moins
traumatisantes ont été essayées et se sont avérées
insuffisantes. Par conséquent, la priorité devrait aller à des
solutions alternatives à la rétention pour les personnes
visées (bien que ces mesures puissent aussi avoir une
incidence sur les droits de l’homme). Les solutions
alternatives à la rétention sont plus intéressantes pour les
Etats concernés sur le plan financier et elles ont fait la
preuve de leur efficacité. Dans certains Etats,
malheureusement, les alternatives à la rétention ne sont que
rarement appliquées ou sont absentes de la législation
nationale malgré toutes les obligations qui imposent de les
prendre en compte.
9. Au vu
de ce qui précède, l’Assemblée appelle les Etats membres du
Conseil de l’Europe dans lesquels des demandeurs d’asiles et
des migrants en situation irrégulière sont retenus à respecter
pleinement leurs obligations au regard du droit international
relatif aux droits de l’homme et aux réfugiés, et les
invite :
9.1. à suivre 10
principes directeurs définissant les circonstances
dans lesquelles la rétention des demandeurs d’asile et les
migrants en situation irrégulière est légalement admissible.
Ces principes sont les suivants :
9.1.1.
la rétention des demandeurs d’asile et des migrants en
situation irrégulière est une mesure
exceptionnelle qui n’est applicable que lorsque l’on
a examiné toutes les autres alternatives et qu’aucune ne
s’est avérée probante ;
9.1.2.
une distinction est opérée entre les demandeurs d’asile et
les migrants en situation irrégulière ; les
demandeurs d'asile doivent être protégés de sanctions
liées à leur entrée ou présence non autorisée ;
9.1.3.
la rétention est mise en œuvre selon une procédure définie
par la loi, elle est autorisée par une instance
judiciaire et fait l’objet d’un contrôle judiciaire
périodique ;
9.1.4.
la rétention n’est ordonnée que dans le but spécifique
d’empêcher une entrée irrégulière sur le territoire ou en
vue d’une expulsion ou d’une extradition ;
9.1.5.
la rétention n’est pas arbitraire ;
9.1.6.
la rétention est appliquée uniquement quand elle est
nécessaire ;
9.1.7.
la rétention est proportionnée à l’objectif visé ;
9.1.8.
le lieu, les conditions et le régime de la rétention sont
appropriés ;
9.1.9.
en règle générale, les personnes vulnérables ne sont pas
placées en rétention et en particulier les mineurs
non accompagnés ne sont jamais retenus ;
9.1.10. la durée de la rétention est la
plus brève possible ;
9.2. à appliquer en droit et dans la
pratique les 15 règles européennes définissant les normes minimales applicables aux
conditions de rétention des migrants et des demandeurs
d’asile. Ces règles sont les suivantes :
9.2.1.
les personnes privées de liberté sont traitées avec
dignité et dans le respect de leurs droits ;
9.2.2.
les retenus sont hébergés dans des centres spécialement
conçus pour la rétention liée à l’immigration et non
dans des prisons ;
9.2.3.
tous les retenus sont informés rapidement, dans un langage
simple et accessible pour eux, des principales raisons
juridiques et factuelles de leur rétention, de leurs
droits, des règles et de la procédure de plaintes
applicables pendant la rétention ; durant la
rétention, les retenus ont la possibilité de déposer une
demande d'asile ou de protection complémentaire ou
subsidiaire, et un accès effectif à une procédure d'asile
équitable et satisfaisante offrant toutes les garanties
procédurales ;
9.2.4.
les critères d’admission juridiques et factuels sont
respectés, ce qui suppose l’organisation de contrôles de
dépistage et de visites médicales permettant de repérer
les besoins spécifiques. Des archives pertinentes
concernant les admissions, les séjours et les départs
doivent être conservées ;
9.2.5.
les conditions matérielles de rétention sont adaptées à la
situation juridique et factuelle de l’intéressé
9.2.6.
le régime de rétention est adapté à la situation juridique
et factuelle de l’intéressé ;
9.2.7.
les autorités responsables préservent la santé et le
bien-être de toutes les personnes retenues dont elles ont
la charge ;
9.2.8.
les retenus ont un accès concret au monde
extérieur (y compris des contacts avec des avocats,
la famille, des amis, le Haut Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (HCR), la société civile, des
représentants du monde spirituel et religieux) et
reçoivent des visites fréquentes du monde extérieur ;
9.2.9.
les retenus ont un accès concret à des conseils, à une
assistance et à une représentation juridiques d’une
qualité suffisante, ainsi qu’à une aide juridique
gratuite ;
9.2.10. les retenus peuvent déposer
périodiquement un recours effectif contre leur mise en
rétention devant un tribunal et les décisions concernant
la rétention sont examinées automatiquement à intervalles
réguliers ;
9.2.11. la sécurité, la protection et la
discipline des retenus sont prises en compte de façon à
garantir le bon fonctionnement des centres de
rétention ;
9.2.12. le personnel des centres de
rétention et des services de l’immigration ne recourt pas
à la force contre les retenus, sauf en situation de
légitime défense ou en cas de tentative d’évasion ou de
résistance physique active à un ordre légal, toujours en
dernier recours et d’une manière proportionnée à la
situation ;
9.2.13. la direction et le personnel des
centres de rétention sont recrutés avec soin, bénéficient
d’une formation adaptée et œuvrent conformément aux normes
professionnelles, éthiques et personnelles les plus
élevées ;
9.2.14. les retenus ont tout loisir de
formuler des demandes ou des plaintes auprès d’autorités
compétentes et des garanties de confidentialité leur
sont données à cet égard ;
9.2.15. les centres de rétention et les
conditions de rétention font l’objet d’inspections et de
contrôles indépendants ;
9.3. à
examiner les alternatives à la rétention et :
9.3.1. à
s’assurer qu’il existe une présomption en faveur de la
mise en liberté dans la législation nationale ;
9.3.2.
à clarifier la mise
en œuvre des alternatives à la rétention et intégrer à la
législation et à la pratique nationales un véritable cadre
juridique et institutionnel applicable à ces alternatives,
afin de veiller à ce qu’elles soient envisagées d’emblée
si la mise en liberté ou le placement provisoire en
rétention ne sont pas accordés ;
9.3.3. à
faire en sorte que leur application soit non
discriminatoire, proportionnée et nécessaire, que la
situation et la vulnérabilité des personnes auxquelles
elles sont appliquées soient prises en compte et que la
possibilité d’un contrôle par un organe judiciaire
indépendant ou une autre autorité compétente soit
prévue ;
9.3.4.
commander et mener à bien des recherches et analyses
empiriques sur les alternatives à la rétention, leur mise
en œuvre et leur efficacité, ainsi que les bonnes
pratiques, en établissant une distinction entre les
alternatives sociales qui autorisent la liberté de
mouvement et celles qui limitent la liberté de mouvement.
A cet égard, les alternatives suivantes, entre autres,
peuvent être prises en compte :
9.3.4.1.
le placement dans des
établissements spéciaux (ouverts ou semi-ouverts) ;
9.3.4.2.
l’obligation d’enregistrement et l’obligation de
signalement ;
9.3.4.3.
la mise en liberté sous caution/désignation d’un
garant ;
9.3.4.4.
la mise en liberté surveillée auprès de particuliers, de
parents, d’ONG, d’organisations religieuses, ou
autres ;
9.3.4.5.
la remise de titres de voyage ou autres, la libération
associée à la désignation d’un travailleur
spécialisé ;
9.3.4.6.
les documents électroniques ou le suivi électronique.
10.
L’Assemblée invite le Commissaire aux droits de l’homme du
Conseil de l’Europe et le Comité européen pour la prévention
de la torture à continuer de suivre de près le problème de la
rétention des demandeurs d’asile et des migrants en situation
irrégulière et à appuyer les principes directeurs
susmentionnés concernant les placements en rétention
légalement admissibles et les règles minimales de conditions
de rétention. Elle les invite également à encourager les Etats
membres à étudier les alternatives à la rétention et à en
faire un usage beaucoup plus important.
1 Discussion par l’Assemblée le
28 janvier 2010 (7e séance) (voir Doc.
12105, rapport de la commission des migrations, des
réfugiés et de la population, rapporteur: Mme Mendonça).
Texte adopté par l’Assemblée le 28 janvier 2010
(7e séance).
Voir également la
Recommandation 1900 (2010). |
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