Edition provisoire
La protection de la vie privée et des données à
caractère personnel sur l'internet et les médias en ligne
Résolution 1843 (2011)1
1. Tout
en saluant les progrès historiques des technologies de
l’information et de la communication (ci-après «TIC») et les
effets positifs qui en découlent pour les individus, les
sociétés et notre civilisation toute entière, l’Assemblée
parlementaire note avec préoccupation que la numérisation des
informations a engendré des possibilités jusqu'alors
impensables d’identifier les individus grâce à leurs données.
Celles-ci sont traitées par un nombre toujours croissant
d’instances publiques et privées dans le monde. Les
informations à caractère personnel sont introduites dans le
cyberespace par les utilisateurs eux-mêmes et des tiers. Les
individus laissent des traces de leur identité en utilisant
les TIC. L’établissement des profils d’utilisateurs de
l’internet est devenu un phénomène répandu. Les sociétés
contrôlent parfois les employés et les contacts commerciaux au
moyen des TIC.
2. En
outre, les systèmes fondés sur les TIC sont souvent infiltrés
dans le but d’obtenir des données relatives à des entités
juridiques, en particulier les sociétés commerciales, les
institutions financières, les institutions de recherche et les
pouvoirs publics. Ce type d’accès pourrait causer des
préjudices économiques au secteur privé et avoir une incidence
négative sur le bien-être économique des Etats, la sûreté
publique ou la sécurité nationale.
3.
L’Assemblée s'alarme de cette évolution qui remet en cause le
droit à la vie privée et à la protection des données. Dans un
Etat démocratique régi par la prééminence du droit, le
cyberespace ne doit pas être considéré du point de vue
juridique comme un espace où le droit, en particulier les
droits de l’homme, ne s’applique pas.
4.
L’Assemblée rappelle le droit fondamental de chacun au respect
de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance tel qu’il est garanti par l’article 8 de la
Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5). Ce
droit comprend le droit à la protection des données à
caractère personnel ainsi que l’obligation, à cet égard, de
prévoir des garanties appropriées dans le cadre de la loi
interne.
5.
L'Assemblée souligne la nécessité de lutter efficacement
contre la collecte, la diffusion et la consultation, par le
biais des technologies de l'information et de la
communication, et notamment de l'internet, de contenus
impliquant des abus sur enfants, conformément aux dispositions
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des
enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE
no 201).
6.
Rappelant qu’elle soutient de longue date la protection de la
vie privée depuis sa
Recommandation 509 (1968) relative aux droits de l’homme
et aux réalisations scientifiques et technologiques modernes,
l’Assemblée accueille avec satisfaction et appuie la
Résolution n° 3 sur la protection des données et la vie privée
au troisième millénaire, qui a été adoptée lors de la
30e Conférence des Ministres de la Justice du
Conseil de l’Europe (Istanbul, 24-26 novembre 2010).
7. Comme
l’Assemblée le déclarait dans sa
Résolution 428 (1970) sur les moyens de communication de
masse et les droits de l’homme, «lorsque des banques
régionales, nationales ou internationales de données
informatiques sont instituées, l’individu ne doit pas être
rendu totalement vulnérable par l’accumulation d’informations
concernant sa vie privée. Ces centres doivent enregistrer
uniquement le minimum de renseignements nécessaires.»
8.
Faisant référence à la Convention pour la protection des
personnes à l’égard du traitement automatisé des données à
caractère personnel (STE n° 108, ci-après «Convention n°
108»), l’Assemblée souligne que le droit à la protection des
données à caractère personnel comprend notamment le droit à ce
que ces données soient traitées loyalement et de manière
sécurisée, pour des finalités déterminées et légitimes, et le
droit de chacun de connaître, de consulter et de rectifier les
données à caractère personnel traitées par des tiers ou de
supprimer les données à caractère personnel qui ont été
traitées sans autorisation. Le respect de ces obligations doit
être supervisé par une autorité indépendante conformément au
Protocole additionnel à la Convention n° 108, concernant les
autorités de contrôle et les flux transfrontières de données
(STCE n° 181).
9.
L’Assemblée réaffirme que les Etats membres ne devraient
transférer des données à caractère personnel vers un autre
Etat ou une organisation que si cet Etat ou cette organisation
est Partie à la Convention n° 108 et à son Protocole
additionnel ou assure un niveau de protection adéquat pour le
transfert considéré. Les transferts de données à caractère
personnel qui violent le droit à la protection de la vie
privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des
droits de l'homme peuvent faire l’objet de recours devant les
juridictions nationales et, en dernier ressort, devant la Cour
européenne des droits de l’homme.
10.
L’Assemblée se félicite que la Convention n° 108 ait été
signée et ratifiée par presque tous les Etats membres du
Conseil de l’Europe – à l’exception, regrettable, de
l’Arménie, de la Fédération de Russie, de Saint-Marin et de la
Turquie – et note que les articles 7 et 8 de la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
contiennent dans une large mesure les mêmes principes. Face à
la mondialisation croissante des services fournis par les TIC,
il est de la plus grande urgence pour toute l’Europe d’adhérer
aux mêmes normes et de s’efforcer d’impliquer d’autres pays
dans le monde.
11. Si
l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques (ci-après «PIDCP») reconnaît le droit à la vie
privée, l’interprétation juridique et l’application pratique
de cet article restent nettement en deçà des normes
européennes. L’Assemblée estime donc que toute initiative de
portée mondiale devrait être fondée sur la Convention n° 108
et son Protocole additionnel, tous deux étant en principe
ouverts à la signature d'Etats non membres du Conseil de
l’Europe.
12. Bien
que l’usage de technologies et de logiciels de prévention, la
pratique de l’autorégulation volontaire par les fournisseurs
de TIC et les utilisateurs privés ainsi qu’une meilleure
sensibilisation des utilisateurs peuvent réduire le risque
d’ingérence dans la vie privée et le traitement préjudiciable
des données à caractère personnel au moyen des TIC,
l’Assemblée estime que seule une législation spécifique et une
mise en application effective peuvent protéger suffisamment le
droit à la protection de la vie privée et des données à
caractère personnel visé par l’article 17 du PIDCP et
l’article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme.
13.
L’Assemblée déplore que l’absence de normes juridiques
mondialement acceptées sur la protection des données
concernant les réseaux et services fondés sur les TIC débouche
sur une insécurité juridique et contraint les tribunaux
nationaux à combler ce vide, au cas par cas, en interprétant
les lois internes à la lumière de l’article 17 du PIDCP et de
l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Non seulement cela expose les individus à une protection
différenciée de leurs droits, mais entraîne des exigences
différentes et variables pour les fournisseurs de TIC et les
utilisateurs au niveau global, ce qui rend le niveau de
responsabilité pratiquement imprévisible.
14.
L’Assemblée se félicite de la coopération internationale
établie entre les autorités indépendantes de protection des
données et appuie les efforts qu’elles déploient pour garantir
une protection internationale commune de la vie privée et des
données à caractère personnel face aux développements rapides
des technologies, comme indiqué dans leurs résolutions
adoptées à Madrid en 2009 et à Jérusalem en 2010. L’Assemblée
partage leur avis selon lequel la Convention n° 108 devrait
être soutenue au niveau mondial car il s’agit de l'ensemble de
normes les plus avancées dans ce domaine en droit
international public.
15.
Rappelant la Convention sur la cybercriminalité (STE n° 185),
l’Assemblée se félicite que plus de 100 Etats aient adopté une
législation qui s’inspire de l’esprit de cette convention. En
vertu des articles 2, 3 et 4 de ladite convention,
ses parties sont tenues d’ériger en infraction pénale dans
leur droit interne tout accès, interception et manipulation de
données informatiques effectués sciemment sans autorisation.
Ces données informatiques peuvent contenir des données à
caractère personnel de personnes physiques et des données à
caractère confidentiel de personnes morales qui sont présentes
sur les réseaux informatiques.
16.
Rappelant l’article 10 de la Convention sur les droits de
l’homme et la biomédecine (STE n° 164) et l’article 16 du
Protocole additionnel à cette Convention relatif aux tests
génétiques à des fins médicales (SCTE n° 203), l’Assemblée
insiste sur le droit de chacun à la protection des
informations relatives à sa santé, notamment le droit d’être
informé de toute collecte et traitement de ces données au
moyen des TIC et d’y consentir ou non. Les données à caractère
sanitaire et médical des personnes exigent le niveau de
protection des données le plus élevé, car elles constituent
l’un des éléments essentiels de la vie privée et de la dignité
humaine.
17.
L’Assemblée rappelle également l’obligation de respecter le
droit à la vie privée et à la protection des données en vertu
de la Convention sur l’accès aux documents publics (STCE n°
205) ainsi que les limites fixées à la protection des données
à caractère personnel par la Convention relative au
blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation
des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE
n° 198) et par la Convention concernant l’assistance
administrative mutuelle en matière fiscale (STE n° 127) et son
Protocole d'amendement (STCE n° 208).
18.
L’Assemblée approuve les principes généraux suivants
concernant la protection de la vie privée et des données à
caractère personnel dans un environnement de TIC:
18.1.
la protection de la vie privée est un élément nécessaire de
la vie humaine et du fonctionnement humain d’une société
démocratique; toute violation de la vie privée d’une
personne met en jeu sa dignité, sa liberté et sa
sécurité;
18.2.
le droit à la protection de la vie privée et des données à
caractère personnel est un droit fondamental qui impose aux
Etats l’obligation de fournir un cadre juridique adéquat à
une telle protection contre toute ingérence des pouvoirs
publics, de simples particuliers et d'entités privées;
18.3.
toute personne doit pouvoir contrôler l’utilisation que
d’autres font de ses données à caractère personnel,
notamment l’accès, la collecte, le stockage, la divulgation,
la manipulation, l’exploitation ou autre traitement de ces
données, à l’exception de la rétention licite ou
techniquement nécessaire des données de trafic liées aux TIC
et des données de localisation; le contrôle de l’utilisation
des données à caractère personnel doit comprendre le droit
de chacun de connaître et de rectifier les données qui le
concernent, et de faire supprimer des systèmes et réseaux
fondés sur les TIC toutes les données qui ont été fournies
sans obligation juridique;
18.4.
les données à caractère personnel ne doivent pas être
utilisées par d’autres sans consentement préalable, ce qui
exige l’expression d’un consentement en connaissance de
cause concernant cette utilisation, à savoir une
manifestation de volonté libre, spécifique et informée, et
exclut un usage tacite ou automatique; le consentement peut
être retiré par la suite à tout moment; dans ce cas, les
données à caractère personnel ne peuvent plus être
utilisées;
18.5.
lorsque des données à caractère personnel doivent être
utilisées à des fins d’exploitation commerciale, la personne
concernée doit être également informée à l’avance de cette
exploitation commerciale; lorsque des données à caractère
personnel peuvent être utilisées par d’autres, parce que la
personne concernée a donné son accord ou parce que ces
données, par ailleurs anonymes, sont accessibles au public,
l’accumulation, l’interconnexion, la personnalisation et
l’utilisation intentionnelles de ces données accumulées
exigent toutefois le consentement de la personne
concernée;
18.6.
les systèmes TIC personnels ainsi que les communications
fondés sur des TIC ne doivent pas être infiltrés ou
manipulés si une telle action viole la vie privée ou le
secret de la correspondance; l’accès et la manipulation sans
autorisation au moyen de «cookies» ou d’autres dispositifs
automatisés non autorisés constituent une violation de la
vie privée, en particulier lorsque cet accès ou cette
manipulation servent d’autres intérêts, notamment
commerciaux;
18.7.
un degré de protection supérieur doit être accordé aux
images privées, aux données à caractère personnel des
mineurs ou des personnes souffrant d’un handicap mental ou
psychologique, aux données personnelles ethniques, aux
données personnelles sanitaires, médicales ou sexuelles, aux
données personnelles biométriques et génétiques, aux données
personnelles politiques, philosophiques ou religieuses, aux
données financières à caractère personnel et à d’autres
informations qui relèvent du domaine essentiel de la vie
privée; un degré de protection supérieur doit être également
accordé aux données à caractère personnel liées aux
poursuites judiciaires ou au secret professionnel des
juristes, des professionnels de la santé et des
journalistes; ce degré de protection supérieur peut être
assuré par des moyens d’autorégulation, des moyens
techniques et des moyens juridiques qui permettent de rendre
dûment responsables ceux qui violent la protection des
données ou la vie privée; il conviendrait de fixer des
délais au-delà desquels de telles données ne pourraient plus
être conservées ou utilisées;
18.8.
les entités publiques et privées qui collectent, stockent,
traitent ou utilisent des données à caractère personnel
doivent être tenues de réduire le volume de ces données au
plus strict minimum nécessaire; les données à caractère
personnel doivent être supprimées lorsqu’elles sont
obsolètes ou inutilisées ou lorsque la finalité de leur
collecte a été atteinte ou n'existe plus; la collecte et le
stockage aléatoires de données à caractère personnel doivent
être évités;
18.9.
toute personne doit pouvoir disposer d’un recours efficace
devant les tribunaux nationaux contre toute ingérence
illicite dans son droit à la protection de sa vie privée et
de ses données à caractère personnel; des organes
d’autorégulation et d’arbitrage volontaire ainsi que des
autorités indépendantes de protection des données doivent
compléter le système judiciaire afin de garantir la
protection efficace de ce droit; les pouvoirs publics et les
sociétés commerciales doivent être encouragés à élaborer des
mécanismes permettant de recevoir et de traiter les plaintes
émanant d’individus qui allèguent que leur droit à la
protection de leurs données ou de leur vie privée a été
violé, ainsi que des mécanismes garantissant le respect au
niveau interne du droit à la protection de la vie privée et
des données à caractère personnel; toute violation de la
protection de la vie privée et des données à caractère
personnel doit être sanctionnée pénalement.
19.
L’Assemblée se félicite que les Parties à la Convention
n° 108 aient commencé à préparer une révision possible de
cette convention suite à l’évolution rapide des technologies
et à la concurrence commerciale de plus en plus agressive qui
règne dans les services fondés sur les TIC.
20. C'est
pourquoi l’Assemblée invite:
20.1.
les parlements d’Arménie, de la Fédération de Russie, de
Saint-Marin et de Turquie à lancer sans délai leur processus
de ratification de la Convention n° 108, ce qui permettra à
leurs pays de jouer un rôle actif dans l’évolution ultérieure
de cette convention;
20.2.
ses délégations d’observateurs du Canada, d’Israël et du
Mexique à lancer un débat dans leurs parlements respectifs sur
la signature et la ratification de la Convention n° 108 et la
participation à son évolution ultérieure. Les délégations
d’observateurs sont invitées à faire rapport sur les progrès
accomplis à cet égard à l’Assemblée en temps utile;
20.3.
les autres Etats qui coopèrent avec le Conseil de l’Europe, en
particulier les Etats observateurs du Conseil de l’Europe que
sont le Japon, les Etats-Unis d’Amérique et le Saint-Siège, à
encourager leurs autorités à adhérer à la Convention n°
108;
20.4.
la Commission européenne pour la démocratie par le droit
(Commission de Venise) à faire rapport à l’Assemblée sur le
degré de conformité de la législation interne de ses Etats
membres et observateurs avec le droit fondamental et universel
à la protection de la vie privée et des données à caractère
personnel à la lumière de la Convention n° 108 et de son
Protocole additionnel, et sur l’intention éventuelle des Etats
qui ne sont pas encore parties à cette convention de la signer
et de la ratifier.
21.
L’Assemblée demande au Secrétaire Général du Conseil de
l’Europe:
21.1.
de rechercher un appui à haut niveau des Nations Unies pour
inciter les Etats à adhérer à la Convention n° 108, par le
biais notamment du Forum des Nations Unies sur la
gouvernance de l’internet, de l’Union internationale des
télécommunications et de Organisation des Nations Unies pour
l'éducation, la science et la culture (UNESCO);
21.2.
de s'assurer que l'utilisation généralisée des TIC au sein du
Conseil de l'Europe et son statut juridique extraterritorial
ne nuisent pas à la protection de la vie privée et des données
à caractère personnel. Dans ce contexte, la position et les
activités du Commissaire à la protection des données du
Conseil de l’Europe devraient être renforcées et le cadre
réglementaire interne révisé en conséquence.
22.
L’Assemblée appelle l’Union européenne à soutenir une large
adhésion à la Convention n° 108 et à son Protocole
additionnel, et à en devenir elle-même partie quand les
amendements nécessaires pour permettre cette adhésion seront
entrés en vigueur.
23. Se
félicitant des efforts déployés au niveau international par
les différentes parties prenantes pour garantir le droit à la
protection des données à caractère personnel dans un
environnement fondé sur les TIC, tels que les résolutions de
Madrid (2009) et de Jérusalem (2010) adoptées par des
autorités indépendantes de protection des données, ainsi que
des diverses initiatives conduites par la Chambre
internationale de commerce dans le domaine de la protection
des données, l’Assemblée invite toutes les parties prenantes à
joindre leurs forces à celles du Conseil de l’Europe afin que
les initiatives individuelles n’entrent pas en contradiction
les unes avec les autres ou risquent d’être utilisées pour
brouiller une approche commune du droit universel au respect
de la vie privée et des données à caractère personnel ou pour
affaiblir les normes juridiques existantes.
1 Discussion par l’Assemblée le
7 octobre 2011 (36e séance) (voir Doc.
12695, rapport de la commission de la culture, de la
science et de l'éducation, rapporteur: Mme Rihter;
Doc.
12726, avis de la commission des questions juridiques et
des droits de l'homme, rapporteur: M. Salles). Texte adopté
par l’Assemblée le 7 octobre 2011 (36e
séance).
Voir également la
Recommandation 1984 (2011). |