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Résolution 2133 (2016) Version provisoire
Recours juridiques contre les violations des droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes
1. L’Assemblée
parlementaire est profondément préoccupée par la situation des droits
de l’homme en Crimée et dans les «républiques populaires» autoproclamées
de Donetsk et Lougansk («RPD» et «RPL»).
2. Elle réaffirme la position qu’elle a exprimée dans les Résolution 2112 (2016), Résolution
2063 (2015), Résolution
1990 (2014) et Résolution
1988 (2014) de l’Assemblée selon laquelle l’annexion de la Crimée
par la Fédération de Russie et l’intervention militaire des forces
russes dans l’est de l’Ukraine constituent des violations du droit
international et des principes défendus par le Conseil de l’Europe.
3. La «RPD» et la «RPL», instaurées, soutenues et contrôlées
de manière effective par la Fédération de Russie, n’ont aucune légitimité
au regard du droit ukrainien ou du droit international. Cela vaut
pour toutes leurs «institutions», y compris les «tribunaux» mis
en place par les autorités de fait.
4. En vertu du droit international, la Fédération de Russie,
qui exerce le contrôle de fait de ces territoires, est responsable
de la protection de leur population. Elle doit par conséquent garantir
les droits de l’homme de tous les habitants de Crimée, de la «RPD»
et de la «RPL».
5. Dans le cas de la Crimée, la présence militaire russe et le
contrôle effectif exercé par la Fédération de Russie ont été reconnus
officiellement par les autorités de ce pays. En ce qui concerne
la «RPD» et la «RPL», le contrôle effectif découle du rôle essentiel
établi de sources solides joué par les militaires russes dans la
prise de ces régions et dans le maintien du contrôle sur leur territoire
face à la résistance déterminée des autorités ukrainiennes légitimes,
ainsi que de la dépendance totale de la «RPD» et de la «RPL» vis-à-vis
de la Russie sur les plans logistique, financier et administratif.
6. En Crimée et dans la zone de conflit de la région du Donbass,
de graves violations des droits de l’homme ont eu lieu et continuent
d’avoir lieu, comme en attestent de nombreux rapports émanant, entre
autres, du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
de la Mission des Nations Unies de surveillance des droits de l’homme
en Ukraine, de la Mission spéciale d’observation en Ukraine du Bureau
des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) et de
grandes organisations non gouvernementales ukrainiennes ou internationales
de défense des droits de l’homme. Il s’agit notamment d’exécutions
extrajudiciaires, de disparitions forcées, d’actes de torture et
autres traitements inhumains et dégradants, de détentions illégales
et de restrictions disproportionnées de la liberté d’expression
et de la liberté d’information.
7. Les victimes de violations des droits de l’homme ne disposent
pas de voies de recours internes effectives:
7.1. en ce qui concerne les habitants de la «RPD» et de la
«RPL», les «tribunaux» locaux manquent de légitimité, d’indépendance
et de professionnalisme; les juridictions ukrainiennes situées dans
les zones voisines contrôlées par le gouvernement auxquelles l’Ukraine
a transféré la compétence pour les zones non contrôlées sont difficiles
d’accès, ne peuvent obtenir les dossiers restés en «RPD» et en «RPL»
et ne sont pas en mesure d’assurer la mise en œuvre de leurs décisions
dans ces territoires;
7.2. en ce qui concerne les personnes vivant en Crimée, le
climat d’intimidation pèse également sur l’indépendance des tribunaux
et, en particulier, sur la détermination de la police et du parquet
à amener les responsables des infractions commises contre les loyalistes
ukrainiens – réels ou supposés – à répondre de leurs actes.
8. En Crimée, les Ukrainiens en général, et les Tatars de Crimée
en particulier, vivent dans un fort climat d’intimidation en raison
des violations des droits de l’homme susmentionnées, qui demeurent
par ailleurs en grande partie impunies. Un grand nombre de personnes
ont été contraintes de quitter la Crimée. Parallèlement, tous les
habitants de Crimée sont en butte à des pressions considérables
visant à les faire se procurer un passeport russe et renoncer à
leur nationalité ukrainienne pour avoir accès aux soins de santé,
à un logement et à d’autres services de première nécessité. A la
suite de la décision récente de la Cour suprême de la Fédération
de Russie sur l’interdiction du Mejlis et de ses instances locales,
les Tatars de Crimée ont perdu leur représentation démocratique
traditionnelle. Les médias tatars, ainsi que la pratique de la religion musulmane
par les Tatars, ont également été pris pour cible. L’effet cumulatif
de ces mesures répressives constitue une menace pour l’existence
même de la communauté tatare en tant que groupe ethnique, culturel et
religieux spécifique.
9. De plus, les rapports d’organisations internationales et non
gouvernementales réputées signalent des violations des dispositions
de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale par la Fédération de Russie en
Crimée occupée à l’encontre des Tatars de Crimée.
10. Dans la zone de conflit de la région du Donbass, la population
civile ainsi qu’un grand nombre de combattants ont été victimes
de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, notamment de bombardements
aveugles ou même intentionnels de zones civiles, parfois déclenchés
en raison du stockage d’armes à proximité et ont subi des violations
de leur droit à la vie et à l’intégrité physique et de leur droit
au respect de leurs biens.
11. De nombreux habitants de la zone de conflit du Donbass, des
deux côtés de la ligne de contact, continuent de souffrir au quotidien
de multiples violations du cessez-le-feu conclu à Minsk. Ces violations
sont recensées chaque jour par la Mission spéciale d’observation
de l’OSCE en Ukraine, malgré les restrictions d’accès imposées essentiellement
par les autorités de fait de la «RPD» et de la «RPL». Les habitants
sont également en butte au climat d’impunité et à la situation de
non-droit qui règnent du fait de l’absence d’institutions étatiques
légitimes et opérationnelles, en particulier d’un accès à la justice
tel que garanti par l’article 6 de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5). Ils font
face également à de graves difficultés sociales, aggravées par les
mesures restrictives imposées par les autorités ukrainiennes sur
le versement des pensions et des prestations sociales. Le statut
juridique et la situation humanitaire des prisonniers de droit commun
condamnés à une peine d’incarcération avant le conflit (environ
5 000 personnes dans la seule «RPL») est inacceptable: les décisions
de libération anticipée (liberté conditionnelle, amnistie) prononcées
par les autorités judiciaires ukrainiennes sont systématiquement
ignorées par les autorités de fait, qui soumettent les détenus au
travail forcé et à différentes formes de traitements inhumains ou
dégradants. Enfin, l’obligation de réenregistrement imposée illégalement
par les autorités de fait de la «RPD» et de la «RPL» fait peser
sur les personnes déplacées de ces territoires le risque d’être
expropriées des biens qu’elles ont laissés derrière elles.
12. Les autorités ukrainiennes ont commencé à engager des poursuites
contre les auteurs présumés de crimes de guerre et d’autres violations
des droits de l’homme dans les rangs des forces progouvernementales. L’Assemblée
prend note de la coopération constructive de l’Ukraine avec les
mécanismes internationaux de suivi compétents, comme le Comité européen
pour la prévention de la torture et le Sous-Comité des Nations Unies
pour la prévention de la torture, en particulier dans le contexte
de la récente visite en Ukraine, et appelle toutes les parties impliquées
à laisser les observateurs extérieurs accéder régulièrement et sans
entraves à tous les lieux de privation de liberté, conformément
à leurs mandats.
13. Les Accords de Minsk comprennent des clauses d’amnistie pour
les personnes ayant pris part au conflit armé dans la région du
Donbass. L’Assemblée rappelle qu’en vertu du droit international,
ces clauses ne sauraient justifier que les auteurs de violations
graves des droits de l’homme restent impunis.
14. S’agissant des élections prévues dans les Accords de Minsk,
l’Assemblée considère que des élections libres et équitables (telles
que garanties par l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 9))
ne sont pas possibles en «RPD» et en «RDL» tant que prévaut dans
ces régions la situation actuelle, marquée par un climat d’insécurité,
d’intimidation et d’impunité mais aussi par une absence de liberté
d’expression et d’information.
15. L’Assemblée regrette que ni la Fédération de Russie ni l’Ukraine
n’aient ratifié le Statut de Rome créant la Cour pénale internationale
(CPI); elle relève néanmoins que l’Ukraine, par ses déclarations
au titre de l’article 12.3 du Statut de Rome déposées le 17 avril
2014 et le 8 septembre 2015, a accepté la compétence de la CPI.
L’Assemblée se félicite des modifications apportées à la Constitution
ukrainienne, qui ont finalement été adoptées par le Parlement ukrainien
et permettent la ratification du Statut de Rome. Cela dit, l’Assemblée est
préoccupée par le fait que ces modifications n’entreront en vigueur
que dans trois ans, et non dès que possible, comme elle l’a recommandé.
16. L’Assemblée se félicite des activités de l’équipe commune
d’enquête (ECE) et de son rapport préliminaire du 28 septembre 2016
sur l’enquête pénale relative au vol MH17 abattu au-dessus du Donbass. L’Assemblée
prend note des conclusions de l’ECE indiquant que le vol MH17 a
été abattu par un système de missiles BUK depuis les territoires
contrôlés par des milices pro-russes, système envoyé depuis le territoire
de la Fédération de Russie qui, après le lancement, a été ramené
en Fédération de Russie. L’Assemblée appelle toutes les parties
impliquées à coopérer pleinement à l’enquête pénale afin de traduire
les responsables en justice.
17. En conséquence, l’Assemblée demande instamment:
17.1. aux autorités compétentes de
l’Ukraine et de la Fédération de Russie:
17.1.1. de mener une enquête effective sur tous les cas de violations
graves des droits de l’homme qui auraient été commises dans toutes
les zones se trouvant sous leur contrôle effectif;
17.1.2. d’engager des poursuites contre les auteurs de ces actes,
ce qui contribuerait également à prévenir de nouvelles violations;
17.1.3. d’accorder une indemnisation à leurs victimes, dans toute
la mesure du possible;
17.1.4. d’adhérer au Statut de Rome de la CPI;
17.1.5. de mettre pleinement en œuvre les Accords de Minsk;
17.2. aux autorités russes:
17.2.1. de
mettre un terme aux mesures répressives à l’égard des personnes
fidèles aux autorités ukrainiennes dans toutes les régions sur lesquelles
elles exercent un contrôle effectif, notamment la Crimée; en particulier,
de rétablir les droits historiques du peuple tatar de Crimée et
de permettre la restauration de l’Etat de droit dans tout l’est
de l’Ukraine;
17.2.2. en parallèle, d’assurer la protection des droits fondamentaux
de tous les habitants de la «RPD» et de la «RPL» et la satisfaction
de leurs besoins fondamentaux, et d’exercer leur influence en ce
sens auprès des autorités de fait;
17.2.3. de faciliter la surveillance indépendante de la situation
des droits de l’homme dans tous les territoires de l’Ukraine se
trouvant sous leur contrôle effectif, y compris la Crimée;
17.2.4. de mettre en œuvre tous les moyens légaux disponibles
pour faire annuler la décision de la Cour suprême de la Fédération
de Russie déclarant hors la loi le Mejlis et d’autoriser le peuple
tatar de Crimée à choisir ses propres institutions autonomes;
17.2.5. de garantir un accès sans restriction par les représentants
d’organisations internationales et par les services consulaires
de l’Ukraine aux personnes condamnées, déplacées de territoires
temporairement soustraits au contrôle de l’Ukraine vers des établissements
pénitentiaires situés sur le territoire de la Fédération de Russie;
17.2.6. de transférer en Ukraine tous les citoyens ukrainiens
condamnés qui en exprimeraient le souhait afin qu’ils puissent purger
le reste de leur peine sur les territoires contrôlés par les autorités
ukrainiennes;
17.2.7. de faire cesser le déplacement, du territoire de la Crimée
vers celui de la Fédération de Russie, de personnes, y compris condamnées
à des peines d’emprisonnement, qui se sont trouvées, dans quelques
circonstances que ce soit, sous le contrôle de la Fédération de
Russie en Crimée et qui n’ont pas la citoyenneté russe;
17.3. aux autorités ukrainiennes, de simplifier, autant qu’il
est dans leur pouvoir, la vie quotidienne des habitants des territoires
se trouvant hors de leur contrôle et des personnes déplacées venues
de ces régions, en allégeant les formalités administratives à effectuer
pour bénéficier des pensions et des prestations sociales et en accordant
les moyens matériels et humains nécessaires aux tribunaux des zones
contrôlées par le gouvernement auxquels a été transférée la compétence
pour les zones non contrôlées, afin de faciliter l’accès des habitants
à la justice;
17.4. de réexaminer et de reconsidérer régulièrement les dérogations
de l’Ukraine aux dispositions du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques et de la Convention européenne des droits
de l'homme des points de vue de la nécessité, de la proportionnalité
et de la non-discrimination;
17.5. à la communauté internationale, de continuer à porter
son attention sur la situation humanitaire et des droits de l’homme
des personnes vivant dans les territoires de l’Ukraine se trouvant
hors du contrôle des autorités ukrainiennes, et de ne pas imposer
à l’Ukraine des exigences dont le respect viendrait renforcer le
statu quo illégal;
17.6. à la CPI, d’exercer sa compétence dans toute la mesure
autorisée par le droit après les déclarations déposées par l’Ukraine.
18. L’Assemblée décide de continuer à suivre, de façon prioritaire,
la situation des droits de l’homme dans la zone de conflit de la
région du Donbass et en Crimée.