Résolution 1625 (2008)1
Gökçeada (Imbros) et Bozcaada (Ténédos)2:
préserver le caractère biculturel des deux îles turques comme un modèle
de coopération entre la Turquie et la Grèce dans l’intérêt des
populations concernées
1. L’Assemblée parlementaire constate avec
satisfaction que les relations entre la Turquie et la Grèce se sont
améliorées dernièrement, d’où une intensification notable des échanges
économiques et culturels entre les deux Etats.
2. Ce rapprochement a permis aux anciens chefs des
délégations grecque et turque auprès de l’Assemblée, Elsa Papademetriou
et Murat Mercan, d’effectuer en 2005 une visite historique des îles de
Gökçeada (Imbros) et Bozcaada (Ténédos), dont la population souffrait
également depuis trop longtemps des conséquences de tensions politiques
entre les deux Etats et de difficultés économiques.
3. Cette visite en 2005 a débouché sur une
présentation conjointe de la proposition qui est à l’origine de la
présente résolution. Les habitants de ces deux îles étant en faible
nombre, il est possible d’examiner leurs problèmes en dehors du cadre
plus large des relations gréco-turques.
4. L’Assemblée estime qu’une action positive des
autorités turques en vue de préserver le caractère biculturel des deux
petites îles turques pourrait servir non seulement de preuve tangible
du respect par la Turquie des droits de ses propres citoyens, mais
aussi de modèle pour la coopération gréco-turque dans le seul intérêt
des populations concernées.
5. En adoptant une attitude positive envers les
habitants d’origine grecque et leurs descendants, la Turquie donnerait
également un excellent exemple de sa bonne volonté à appliquer les
principes européens de bon voisinage.
6. L’Assemblée déplore que, à la suite de certaines
mesures prises par les autorités (fermeture sur les îles de toutes les
écoles de la communauté grecque, expropriations à grande échelle,
mauvais traitements), mais aussi pour des raisons économiques, les
premiers habitants des îles (d’origine grecque) aient émigré en masse,
ne laissant que quelque 250 membres de leur communauté à Gökçeada
(Imbros) et 25 à Bozcaada (Ténédos), principalement des personnes
âgées. Dans le même temps, plusieurs milliers d’ex-insulaires et leurs
descendants se sont montrés désireux de garder un lien avec leurs
terres ancestrales et y retournent régulièrement lors de fêtes
traditionnelles, de réunions de famille et de vacances, et un certain
nombre d’entre eux envisagent sérieusement de s’y réinstaller, comme
retraités ou entrepreneurs. Les associations de cette diaspora jouent
un rôle important pour aider les résidents permanents à affronter les
difficultés réelles qu’ils rencontrent.
7. Des mesures d’action urgentes s’imposent pour
endiguer – voire commencer à inverser – le départ de la population
d’origine grecque, en vue de préserver durablement le caractère
biculturel des îles.
8. L’Assemblée salue les mesures positives récemment adoptées par les autorités turques, dont:
8.1. la reconstruction du clocher de l’église de la
communauté grecque de Bozcaada (Ténédos), à la suite de la visite du
Premier ministre turc et sur sa demande expresse;
8.2. la restauration récente de l’église d’Aghios Nikolaos à Kaleköy (Castro) sur Gökçeada (Imbros);
8.3. la restauration prochaine (déjà approuvée et
financée) de l’ancienne cathédrale de l’île, Aghia Marina, dans la même
ville;
8.4. l’attitude coopérative et rassurante des deux
sous-préfets locaux («Kaymakam») à l’égard de la population d’origine
grecque, qui n’a pas manqué d’être relevée.
9. Pour renforcer cette dynamique positive, il est particulièrement urgent d’examiner les mesures supplémentaires suivantes:
9.1. autoriser la réouverture d’au moins une école
de la communauté grecque à Gökçeada (Imbros), à l’instar des écoles de
la communauté grecque orthodoxe d’Istanbul ou des écoles de la
communauté turque musulmane destinées aux personnes de souche turque,
pomaque et rom de la Thrace occidentale, dès qu’un nombre suffisant de
familles d’origine grecque avec des enfants d’âge scolaire s’engagera à
se réinstaller sur l’île. La nouvelle école promouvra le biculturalisme
et offrira des cours de langue et de culture grecques;
9.2. restituer les terres et les bâtiments
expropriés à leurs anciens propriétaires, sous réserve qu’ils ne soient
pas – ou plus – utilisés pour les fins publiques qui ont
motivé l’expropriation. Lorsqu’une terre ne pourra pas être
raisonnablement restituée parce qu’elle aura été cédée à de nouveaux
habitants, les anciens propriétaires devront bénéficier d’une
compensation équitable, de préférence sous la forme d’un terrain de
l’Etat situé sur la même île;
9.3. restituer à leurs propriétaires initiaux les
bâtiments publics ayant appartenu à la communauté ethnique grecque
(fondations religieuses et municipalités), ainsi que les fondations
religieuses et leurs biens saisis considérés comme «mazbut» et placés sous l’administration directe de la Direction générale des Vakifs;
9.4. adopter des mesures spécifiques permettant le
retour (dans les zones où la révision du cadastre est déjà achevée) ou
l’enregistrement correct des titres de propriétés communautaires et
familiales, notamment:
9.4.1. assurer à tous les habitants des îles et à
leurs descendants l’accès pratique aux archives foncières de l’ère
ottomane et aux résultats de l’enquête effectuée en 1936 pour des
motifs fiscaux, et admettre ces documents comme preuves de propriété
pour la révision du cadastre en cours;
9.4.2. abolir la pratique suivie par les autorités
cadastrales et les tribunaux des îles suivant laquelle les résidents
d’origine grecque ne doivent pas seulement prouver – par témoins –
qu’ils sont en possession des terres en question depuis au moins vingt
ans, mais aussi qu’ils «exploitent» toujours les champs ou les maisons
au moment de leur demande d’enregistrement, nonobstant le fait qu’ils
étaient obligés de les laisser «inexploités» pour des raisons
indépendantes de leur volonté;
9.4.3. suspendre la révision du cadastre entamée sur
les îles en 1996 jusqu’à l’adoption des mesures susmentionnées
(paragraphes 9.4.1 et 9.4.2), afin d’épargner aux habitants des
procédures judiciaires lourdes, coûteuses et hasardeuses en vue de
rectifier une décision administrative contestable;
9.4.4. instaurer un délai de dix ans pendant lequel
toutes les demandes d’enregistrement rejetées par l’administration ou
par un tribunal pourront être revues suivant les nouvelles règles,
selon une procédure administrative simple et peu coûteuse;
9.5. appliquer les arrêts récents de la Cour
européenne des droits de l’homme confirmant les droits successoraux des
non-citoyens pour toutes les affaires en cours et à venir qui
impliquent des habitants des îles et leurs descendants, et s’abstenir
d’imposer, du fait de l’emplacement considéré comme stratégique des
îles au plan militaire, de nouvelles restrictions aux ex-insulaires qui
ont perdu leur nationalité turque et dont la présence ne peut pas être
considérée comme ayant un impact «stratégique»;
9.6. réparer en temps voulu les dommages subis par
le patrimoine naturel et culturel des îles, en adoptant notamment les
mesures suivantes:
9.6.1. simplifier et accélérer la procédure pour
que, sur les deux îles, les propriétaires de bâtiments historiques
protégés obtiennent les permis de restauration et de
reconstruction nécessaires;
9.6.2. délivrer rapidement à la paroisse orthodoxe
grecque de Bozcaada (Ténédos) le permis requis pour restaurer la
chapelle d’Aghia Paraskevi et délivrer à la même fondation
religieuse les titres de propriété corrects concernant à la fois cette
chapelle et tous les autres biens de la fondation;
9.6.3. réexaminer le permis de construire délivré au
«Club de planche à voile» dans la zone d’habitat naturel considérée
comme sensible, située entre le lac salé et la mer Egée, sur la côte
sud-orientale de Gökçeada (Imbros);
9.6.4. interdire toute nouvelle excavation dans la
zone des «Rochers de Kaskavalia» près du port de Kuzulimani (Aghios
Kyrikos) de Gökçeada (Imbros) et réparer les dégâts déjà causés à ce
monument naturel;
9.6.5. raser le baraquement de béton, délabré et
inoccupé, que l’armée avait construit sur le site pittoresque des
festivités traditionnelles du village de Tepeköy (Agridia) au lieu-dit
Pinarbasi (Spilia) sur Gökçeada (Imbros), remettre toute la zone en
état pour qu’elle retrouve sa vocation initiale et financer la
reconstruction de la chapelle d’Aghia Marina;
9.6.6. restaurer – autant que faire se
peut – le port de Kaleköy (Castro) sur Gökçeada (Imbros), qui date
de l’ère classique, récemment détruit durant la construction d’une
marina moderne, et préserver les vestiges du château de l’époque
vénéto-byzantine qui surplombe ledit village;
9.6.7. maintenir la vocation religieuse initiale de l’église d’Aghios Nikolaos à Kaleköy (Castro) qui vient d’être restaurée;
9.7. rendre la nationalité turque aux insulaires qui l’ont perdue par le passé et à leurs descendants;
9.8. établir une liaison maritime directe entre
Gökçeada (Imbros) et Bozcaada (Ténédos), et entre Gökçeada et la Grèce,
tenant également compte de considérations commerciales;
9.9. améliorer les infrastructures des villages de
Gökçeada (Imbros) où vivent encore de nombreux habitants d’origine
grecque – notamment, Tepeköy (Agridia), Dereköy (Schinoudi),
Zeytinliköy (Aghii Theodori) et Eski Bademli (Glyky).
10. Pour faciliter l’application des mesures
recommandées ci-dessus et l’identification rapide des problèmes
potentiels, l’Assemblée recommande que soit mis en place un cadre
informel de dialogue (une «table ronde»), réunissant régulièrement les
autorités locales turques et les représentants des deux communautés.
11. L’Assemblée invite également la Turquie et la
Grèce à engager un dialogue et à démarrer un mécanisme de consultation
de façon à examiner, dans un contexte bilatéral, toutes les questions
ayant trait aux minorités concernées, tel que prévu par le Traité de
paix de Lausanne.
12. L’Assemblée invite sa commission de suivi à
inclure le suivi des mesures proposées (paragraphe 9 ci-dessus) dans
son dialogue postsuivi avec la Turquie.
1. Discussion par l’Assemblée le 27 juin 2008 (27e séance) (voir Doc. 11629, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Gross). Texte adopté par l’Assemblée le 27 juin 2008 (27e séance).
2. Conformément à la 3e
Conférence des Nations Unies sur la normalisation des noms
géographiques, les Etats-nations jouissent du droit de nommer les lieux
géographiques qui sont sous leur souveraineté.
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