Résolution 1624 (2008)1
Prévenir la première des violences faites aux enfants: l’abandon à la naissance
1. L’Assemblée parlementaire est consciente que
l’abandon d’enfants, notamment de nouveau-nés, a toujours existé et
qu’il existera toujours. Il y aura toujours des mères en détresse qui
estimeront avoir de bonnes raisons d’abandonner leur enfant à la
naissance (déni de grossesse, grossesse hors mariage, grossesse
précoce, pauvreté, VIH/sida, etc.). Il y a eu également par le passé
dans certains Etats de l’Europe orientale des politiques qui ont
«institutionnalisé» l’abandon d’enfants ou incité les parents en
difficulté à remettre leurs enfants à l’Etat; ces politiques ont laissé
des traces dans les mentalités des populations et dans celles des
personnels des maternités.
2. L’Assemblée est toutefois préoccupée car
aujourd’hui, malheureusement, le phénomène de l’abandon d’enfants est
loin de se tarir. Les difficultés économiques, la pauvreté et le
VIH/sida font qu’un fort taux d’abandons d’enfants à la naissance
perdure dans certains des Etats de l’Europe centrale et orientale, et
que ce phénomène réapparaît dans les Etats d’Europe occidentale, même
s’il n’est certainement pas d’une ampleur comparable.
3. Elle note d’ailleurs que les données sur le sujet
sont rares; pour répondre à ce défi par des mesures pertinentes, il
importerait de quantifier plus précisément le problème et de disposer
de données chiffrées, notamment une répartition des abandons par sexe.
Il convient également de mieux connaître et de définir avec certitude
le profil type de la mère qui abandonne son enfant. En Europe
occidentale, il semble s’agir le plus souvent de très jeunes femmes
sans autonomie (soit d’origine étrangère, migrantes irrégulières, soit
prostituées).
4. L’Assemblée note que l’adoption est devenue un
marché et que le manque de bébés adoptables en Occident apparaît comme
un facteur aggravant. L’adoption est étroitement liée à la
problématique de l’abandon, tout comme le trafic d’enfants. Un reproche
souvent avancé par les organisations non gouvernementales est de ne pas
suffisamment informer les mères en détresse sur les possibilités qui
leur sont offertes et de profiter de leur faiblesse pour favoriser en
pratique l’abandon des nouveau-nés.
5. L’abandon d’enfants à la naissance est une
question complexe, qui met aussi en jeu des droits autres que ceux de
la mère: les droits de l’enfant et les droits du père. Il est
impossible aujourd’hui d’ignorer les droits de l’enfant, en particulier
le droit de l’enfant de vivre dans une famille et le droit de connaître
ses origines; il est tout aussi difficile de passer sous silence les
droits des pères.
6. L’Assemblée constate que, en Europe et dans le
monde entier, on assiste au retour controversé des tours d’abandon en
vigueur en Europe au Moyen Age (aujourd’hui nommées boîtes à bébés).
Dans de nombreux pays, l’abandon d’enfants est considéré comme un crime
et ce système est alors perçu par certains comme une incitation à
commettre un crime et à déresponsabiliser les mères. Les tenants du
système invoquent pour arguments en faveur de sa généralisation la
baisse du nombre d’avortements, la prévention des infanticides, de la
maltraitance, de l’abandon des bébés dans les lieux publics et la
certitude de voir les enfants adoptés.
7. Pour l’Assemblée, l’abandon de nouveau-nés pose
nettement la question de l’accessibilité des femmes et des hommes – et
notamment des migrant(e)s – aux droits sexuels et aux services de santé
reproductive. Même lorsque l’interruption volontaire de grossesse est
permise, elle reste soumise à de nombreuses formalités administratives
qui sont autant d’obstacles pour bien des femmes en détresse.
8. L’Assemblée réaffirme sa position en faveur de la
désinstitutionnalisation des enfants abandonnés et de la priorité à
donner aux formes alternatives et familiales de prise en charge de ces
enfants. Elle réaffirme également que l’adoption nationale doit primer
sur l’adoption internationale.
9. L’Assemblée invite les Etats membres:
9.1. à articuler leur politique familiale autour
d’un principe intangible et prioritaire: le respect des droits de
l’enfant, en particulier le droit de l’enfant de vivre dans sa famille
et son droit de connaître ses origines, droit constitutif de l’être
humain et vital pour son développement;
9.2. à prévoir un soutien pour les femmes enceintes,
les jeunes mères et les jeunes pères, ce qui implique notamment un
suivi médico-social de la grossesse, la protection contre le virus
VIH/sida et des mesures pour prévenir la transmission mère/enfant,
l’accompagnement de l’accouchement, la non-séparation de l’enfant et de
la mère lors de la délivrance, et le suivi médico-social postnatal de
la mère et du père ainsi que de l’enfant;
9.3. à prendre en compte de façon appropriée la
charge financière que représente la venue d’un enfant pour les familles
ou les mères célibataires;
9.4. à reconnaître le droit sans réserve des femmes
au libre choix de la maternité, ce qui signifie un accès légalisé et
facilité aux droits sexuels et aux services de santé reproductive;
9.5. et à porter une attention particulière aux
groupes de jeunes filles et femmes particulièrement vulnérables comme
les femmes migrantes, les femmes porteuses du VIH/sida ou les femmes
originaires de groupes minoritaires.
10. Les Etats membres sont également invités à élaborer une politique active contre l’abandon des nouveau-nés:
10.1. qui bannisse toute pression sur la mère et
toute mesure incitative à l’abandon d’enfant de la part du personnel
médical et paramédical ou des autorités gouvernementales;
10.2. qui prévienne l’abandon sauvage, qui met la
vie du nouveau-né en danger, par des mesures appropriées comme le
développement de structures d’accueil accessibles;
10.3. qui assure la prévention des maternités
précoces et non désirées, notamment par l’information et l’éducation
sexuelle des filles et des garçons à l’école;
10.4. qui assure une meilleure information des
mères, en particulier celles appartenant aux groupes vulnérables, ainsi
que des pères, sur toutes les possibilités offertes pour les aider,
notamment financières pour faire face à la charge économique
supplémentaire que représente l’enfant;
10.5. et qui aide à la création et au développement de lieux d’accueil et d’hébergement temporaire du couple mère/enfant.
11. Les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent
inciter les mères à laisser leur identité, même si par ailleurs il
convient de développer des formes d’accouchement protégé, dans la
discrétion, au bénéfice de la mère. L’enfant ne doit pas être privé de
son droit de connaître ses origines et ce avant même sa majorité.
12. Pour lutter contre le trafic d’enfants
nouveau-nés, l’Assemblée recommande que l’enregistrement de tous les
enfants à la naissance soit une obligation totalement gratuite pour les
parents; des mesures incitatives pour une telle déclaration peuvent
être prévues comme l’octroi de primes à la naissance.
13. L’Assemblée demande aux Etats membres de prévoir
des procédures transparentes d’abandon des nouveau-nés aux fins
d’adoption nationale et internationale; des délais raisonnables doivent
permettre à la mère de se rétracter si elle le souhaite et, dans toute
la mesure du possible, le consentement du père ne doit pas être
négligé; le recours à l’adoption nationale ou internationale ne doit
pas priver l’enfant d’accéder à la connaissance de ses origines ni le
lui interdire.
14. Enfin, l’Assemblée considère qu’il y aurait
manquement à ses obligations pour tout Etat membre du Conseil de
l’Europe qui n’adopterait pas une politique donnant à chaque enfant –
quels que soient son origine et le lieu où il vit – l’opportunité de
développer au mieux son potentiel. Chaque Etat doit avoir l’obligation
d’assurer en permanence un environnement familial sécurisé à chaque
enfant, que ce soit dans sa propre famille, sa famille d’accueil ou sa
famille d’adoption. Aucun enfant ne doit sans nécessité subir de
préjudice dans les structures éducatives, sanitaires et sociales
disponibles. Un manquement à ces obligations serait indigne de tout
Etat et du maintien de sa qualité de membre du Conseil de l’Europe. Le
Conseil de l’Europe, dans son ensemble, se doit de s’assurer que chaque
Etat assume ses obligations vis-à-vis des enfants et des rapports
réguliers doivent être présentés à l’Assemblée quant à leur respect par
les Etats membres.
1. Discussion par l’Assemblée le 27 juin 2008 (27e séance) (voir Doc. 11538, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, rapporteur: M. Hancock). Texte adopté par l’Assemblée le 27 juin 2008 (27e séance).
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