Vu le pourvoi, enregistré le 25 avril 2008 au
secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour
M. E. S, demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance du 15 avril 2008 par laquelle,
en application de l'article L. 522-3 du code de justice
administrative, le juge des référés du tribunal administratif
de Pau a rejeté, comme portée devant une juridiction
incompétente pour en connaître, sa demande tendant à la
suspension de l'exécution du régime spécial des fouilles
intégrales, comportant 4 à 8 inspections anales et leur
enregistrement vidéo, auquel. il est soumis à l’occasion des
extractions judiciaires quotidiennes nécessitées par ses
comparutions devant les juridictions judiciaires ;
2°) statuant en référé, d’ordonner la suspension
demandée en première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000
euros au titre de l'article L. 761-1 du code de
justice administrative ;
il soutient que le juge des référés du tribunal
administratif de Pau a commis une erreur de droit en estimant
que le litige ne ressortissait pas à la compétence de la
juridiction administrative ;
Vu l’ordonnance attaquée ;
Vu les interventions, enregistrées les 25 avril et 11
septembre 2008, présentées pour la section française de
l’observatoire international des prisons, qui demande que le
Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions du pourvoi de
M. E. S.; elle reprend les moyens exposés dans le pourvoi de
M. E. S. ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 août 2008,
présenté par la garde des sceaux, ministre de la justice, qui
conclut au rejet du pourvoi ; elle soutient, à titre
principal, que le litige ne relève pas de la compétence de la
juridiction administrative ; à titre subsidiaire, que la
condition d’urgence n’est pas remplie et qu’aucune
atteinte grave et manifestement illégale à une liberté
fondamentale ne peut être relevée ;
Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 13 octobre
2008, présenté par la garde des sceaux, ministre de la
justice, qui reprend les conclusions de son précédent mémoire
et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que la
section française de l’observatoire international des prisons
n’est pas recevable à intervenir dans le litige en invoquant
un fondement différent, l’article L. 521-1 du code de
justice administrative, de celui invoqué par le requérant,
l’article L. 521-2 du code de justice
administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des doits de
l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor
an III ;
Vu le code de justice
administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Brice Bohuon, Auditeur,
- les observations de Me Spinosi, avocat de M E. S. et
de la section française de l'observatoire international des
prisons,
- les conclusions de M. Julien Boucher, Commissaire du
gouvernement ;
Sur l’intervention de la section française de
l’observatoire international des prisons :
Considérant que la section française de l’observatoire
international des prisons a intérêt à l’annulation de
l’ordonnance attaquée ; qu’ainsi son intervention, qui ne
soulève pas de litige distinct, est recevable ;
Sur l’ordonnance attaquée :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du
code de justice administrative : « Saisi d'une
demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des
référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la
sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne
morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé
de la gestion d'un service public aurait porté, dans
l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et
manifestement illégale (…)» ; qu’en vertu de
l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés
peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans
instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est
pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la
demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la
juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle
est mal fondée ;
Considérant qu’il n’est pas contesté que M. E. S. fait
l’objet d’une décision le soumettant à un régime de fouilles
corporelles intégrales, opérées quatre à huit fois par jour,
s’appliquant lors de ses extractions du centre de détention
nécessitées par ses comparutions devant les juridictions
judiciaires, en particulier lors de deux procès d’assises qui
se sont déroulés du 9 au 18 avril 2008 et du 6 au 21 juin
2008, mais également à l’occasion de futurs procès ; que
ces fouilles, réalisées par des agents de l’administration
pénitentiaire, font l’objet d’un enregistrement audiovisuel.
conformément à la circulaire du garde des sceaux, ministre de
la justice, du 9 mai 2007 ; que M. E. S. demande
l’annulation de l’ordonnance du 15 avril 2008 par laquelle, en
application de l'article L. 522-3 du code de justice
administrative, le juge des référés du tribunal administratif
de Pau a rejeté, comme portée devant une juridiction
incompétente pour en connaître, sa demande, fondée sur
l’article L. 521-2 du même code, tendant à la
suspension de l'exécution de la décision le soumettant à ce
régime de fouilles ;
Considérant que l’article D. 275 du code de procédure
pénale dispose : « Les détenus doivent être
fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef de
l'établissement l'estime nécessaire. / Ils le sont notamment à
leur entrée dans l'établissement et chaque fois qu'ils en sont
extraits et y sont reconduits pour quelque cause que ce soit.
Ils doivent également faire l'objet d'une fouille avant et
après tout parloir ou visite quelconque. / Les détenus ne
peuvent être fouillés que par des agents de leur sexe et dans
des conditions qui, tout en garantissant l'efficacité du
contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la
personne humaine » ; qu’aux termes de l’article
D. 293 du même code : « Aucun transfèrement,
aucune extraction ne peut être opéré sans un ordre écrit que
délivre l'autorité compétente. / Cet ordre, lorsqu'il n'émane
pas de l'administration pénitentiaire elle-même, est adressé
par le procureur de la République du lieu de l'autorité
requérante au procureur de la République du lieu de détention
(…) » ; que selon l’article D. 294 :
« Des précautions doivent être prises en vue d'éviter les
évasions et tous autres incidents lors des transfèrements et
extractions de détenus. / Ces derniers sont fouillés
minutieusement avant le départ (…) » ;
Considérant que s’il n’appartient qu’au juge judiciaire de
connaître des actes relatifs à la conduite d’une procédure
judiciaire ou qui en sont inséparables, les décisions par
lesquelles les autorités pénitentiaires, afin d’assurer la
sécurité générale des établissements ou des opérations
d’extraction, décident de soumettre un détenu à des fouilles
corporelles intégrales, dans le but de prévenir toute atteinte
à l’ordre public, relèvent de l’exécution du service public
administratif pénitentiaire et de la compétence de la
juridiction administrative ; qu’il en va ainsi alors même
que les fouilles sont décidées et réalisées à l’occasion
d’extractions judiciaires destinées à assurer la comparution
d’un détenu sur ordre du procureur de la République, y
compris lorsque les opérations de fouille se déroulent dans
l’enceinte de la juridiction et durant le procès ; que,
par suite, en s’estimant incompétent pour connaître de la
requête de M. E. S. contre la décision des autorités
pénitentiaires de le soumettre à un régime de fouilles
corporelles intégrales répétées plusieurs fois par jour, le
juge des référés du tribunal administratif de Pau a commis une
erreur de droit ; que, dès lors, son ordonnance doit être
annulée ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a
lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de
justice administrative, de régler l'affaire au titre de la
procédure de référé engagée ;
Considérant que l’article 3 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
stipule : « Nul ne peut être soumis à la torture ni
à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants » ;
Considérant que si les nécessités de l’ordre public et les
contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer
l’application à un détenu d’un régime de fouilles corporelles
intégrales répétées, c’est à la double condition, d’une part,
que le recours à ces fouilles intégrales soit justifié,
notamment, par l’existence de suspicions fondées sur le
comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou les
circonstances de ses contacts avec des tiers et, d’autre part,
qu’elles se déroulent dans des conditions et selon des
modalités strictement et exclusivement adaptées à ces
nécessités et ces contraintes ; qu’il appartient ainsi à
l’administration de justifier de la nécessité de ces
opérations de fouille et de la proportionnalité des modalités
retenues ;
Mais considérant que, pour l’application des dispositions
de l’article L. 521-2 du code de justice
administrative, les conditions relatives à l’urgence, d’une
part, et à l’existence d’une atteinte grave et manifestement
illégale à une liberté fondamentale, d’autre part, présentent
un caractère cumulatif ; qu’il n’est pas établi, ni même
allégué, que M. E. S. devrait faire prochainement l’objet
d’une extraction à laquelle le régime litigieux
s’appliquerait ; qu’ainsi, à défaut d’urgence, la demande
présentée au titre de l’article L. 521-2 du code de
justice administrative par M. E. S. doit être
rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l’application des
dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que
soit mise à la charge de l’Etat la somme demandée par
M. E. S. au titre des frais exposés par lui et non
compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’intervention
de la section française de l’observatoire international des
prisons est admise.
Article 2
: L'ordonnance du juge des référés du tribunal
administratif de Pau en date du 15 avril 2008 est
annulée.
Article 3 :
La demande présentée par M. E. S. devant le juge des référés
du tribunal administratif de Pau, ainsi que le surplus de ses
conclusions devant le Conseil d'Etat, sont rejetés.
Article 4 :
La présente décision sera notifiée à M. E. S., à la section
française de l’observatoire international des prisons et à la
garde des sceaux, ministre de la justice.
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